La libre évolution : un concept en application

Toute activité humaine a un impact sur les écosystèmes plus ou moins direct et à différents degrés. Le concept de libre évolution a pour objectif de limiter au maximum ces interventions, d’en minimiser les conséquences et d’agir enfin dans l’intérêt de la vie sauvage. Il s’agit d’un mode de gestion du milieu sans intervention, où l’humain exprime sa confiance dans les   dynamiques du vivant. A la lumière des sciences écologiques, nous connaissons la capacité de réparation de la nature par elle-même.

Laisser la nature en libre évolution , « c’est-à-dire laisser le milieu se développer selon ses lois intimes, sans y toucher. Laisser l’évolution et les dynamiques écologiques faire leur travail têtu et serein de résilience, de vivification, de création de formes de vie. Une forêt en libre évolution fait ce que fait la vie : elle lutte spontanément contre le réchauffement climatique, par limitation de l’effet de serre. Elle stocke le carbone, d’autant mieux que ses arbres sont anciens et vénérables. Elle travaille à l’épuration de l’eau et de l’air, à la formation de sols, à la diminution de l’érosion, à l’épanouissement d’une riche biodiversité, résiliente, capable d’encaisser les coups du mauvais temps qui vient » – Extrait de la tribune « Si la propriété privée permet d’exploiter, pourquoi ne permettrait-elle pas de protéger ? » publiée dans Le Monde par Baptiste Morizot le 19/07/2019.

En appliquant le concept de la libre évolution, l’ASPAS part en outre du postulat que la nature n’a pas forcément besoin des humains pour s’exprimer, pour vivre, se gérer… Dans la nature, les espèces se régulent entres elles, selon les abondances de nourriture, selon les conditions du milieu. Par ailleurs, c’est en laissant la libre évolution œuvrer, qu’il est possible d’imaginer un retour des forêts anciennes, ces dernières ayant massivement disparu du territoire français.

Confiance, diversité, abondance, continuité et fonctionnalité : tels sont les maîtres mots de la libre évolution.

© R. Collange

Détruire les barrages, gommer les frontières

Arthur Schopenhauer disait que « Toute vérité passe par trois étapes, d’abord elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue et enfin elle est acceptée comme une preuve. » Nous atteindrons un jour l’étape ultime, mais force est de constater que les résistances sur le terrain sont parfois encore vives.

La libre évolution pratiquée par l’ASPAS est encore à l’échelle de confettis sur la carte des espaces protégés de France, mais acheter « pour ne rien faire » et laisser évoluer la nature sans la « gérer » constitue un frein psychologique très ancré.

Des oppositions se lèvent, notamment des défenseurs de l’exploitation qui continuent à stigmatiser toute protection solide des milieux, et à exiger des compromis, des droits d’exploitation jusque dans ces confettis protégés. Gilbert Cochet raconte le phénomène ainsi :

« C’est comme si en partageant les richesses entre les exploitants et la nature, on donnait 99% aux premiers et 1% à l’autre. Mais là les premiers arrivent en disant : dans vos 1%, il vous faut faire des compromis avec nous, pour permettre les activités économiques, sinon c’est injuste : on ne peut pas tout donner à la nature. Mais ils disposent déjà de la quasi-totalité du territoire! ».

Une autre crainte, celle d’une perte de contrôle sur le territoire, d’un renoncement à jouer notre rôle d’ « aménageurs de la Terre », au risque d’être « submergés » par le sauvage. Ce fantasme est facilement désamorcé si l’on regarde un phénomène déjà omniprésent : tous ces propriétaires qui font de la libre évolution « sans le savoir ». En effet, plusieurs millions d’hectares de forêt français sont la propriété privée de gens qui l’ignorent, qui s’en moquent, qui les ont reçu vaguement en héritage : ces lieux sont déjà tranquillement en libre évolution. Mais comme ce n’est pas une action volontaire, il n’y a aucune certitude sur la pérennité de ces zones, contrairement aux RVS.

Enfin, la peur d’un rapport déséquilibrée avec la place que les « écolos » souhaitent laisser au « sauvage » au détriment de l’humain est un argument récurrent, mais revenons un peu dans le temps… Il y a dix mille ans, 97% de la masse animale était constituée par la faune sauvage, et les humains pesaient 3% environ dans la balance. Aujourd’hui, les animaux domestiques pèsent pour 85% de la biomasse de tous les vertébrés terrestres et les humains sont passés à 13%. La faune sauvage, qui constituait hier 97% du total, constitue désormais 2%.

Aujourd’hui laisser davantage de zones en libre évolution consiste à redonner un peu de place à l’ensemble du vivant qui nous entoure.

L’ouverture de nouvelles RVS® doit ainsi passer par l’information des divers acteurs locaux au concept de la libre évolution en vue d’inciter au changement progressif des pratiques génératrices de trop fortes perturbations et de les encourager à aller vers des activités intégratrices du vivant à l’échelle d’un territoire plus vaste (commune, massif forestier, département, etc. ).

Bien souvent, la libre évolution est également perçue comme la mise « sous cloche » d’un espace et par conséquent d’une privatisation d’un bien commun alors que c’est exactement l’inverse. La nature, elle, ne connaît pas nos limites cadastrales d’humains et rayonne tout autour sans limite.

Et tous les humains sont les bienvenues dans ces réserves tant qu’ils respectent l’intégrité des lieux : nous sommes ravis de vous y accueillir.