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Coupes rases, monocultures… Le mauvais état écologique des forêts françaises est la résultante de mauvaises pratiques sylvicoles. Toutefois, un espoir pour la nature réside dans les boisements spontanés qui ont succédé à la déprise agricole. À l’occasion de la journée internationale des forêts ce 21 mars, l’ASPAS partage un extrait d’un dossier de fond rédigé par l’écologue Jean-Claude Génot pour le magazine Goupil au printemps 2021, intitulé : « Les forêts précèdent les hommes, les champs d’arbres les suivent ».   

Un faible degré de naturalité et une protection insuffisante

En France, 50% des arbres ont moins de 60 ans et 79% ont moins de 100 ans, avec des écarts assez importants entre espèces. La forêt française est majoritairement jeune avec 74% des arbres en volume qui possèdent un diamètre inférieur à 47,5 cm et 96% en nombre. Rien d’étonnant à cela puisqu’elle est, soit issue de plantations du milieu du XXe siècle, soit le résultat d’une surexploitation au XIXe et/ou d’une exploitation par coupe rase.

Cette faible maturité des forêts se reflète dans le volume à l’hectare qui est en moyenne de 174 m³. Il est plus élevé en forêt publique (198 m³/ha) qu’en forêt privée (166 m³/ha) (75% des forêts françaises sont privées). Il dépasse les 200 m³/ha dans les régions de l’Est de la France. Mais ces volumes sont très inférieurs à ceux de forêts plus matures qui s’échelonnent entre 450 et 500 m³/ha et qui peuvent être encore supérieurs pour certaines forêts de montagne.

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La moitié de la forêt française est constituée de peuplements mono spécifiques (7,3 millions d’ha). Un tiers des peuplements est constituée de deux espèces, et seulement 16 % de peuplements ont plus de deux espèces. Pour l‘Inventaire Géographique National (IGN), un peuplement est mono spécifique quand une espèce représente plus des trois-quarts du couvert des arbres.

La gestion en futaie régulière (une espèce et un même âge dans une même parcelle) a également conduit de nombreuses forêts feuillues à devenir des peuplements mono spécifiques.

Le réchauffement climatique a bon dos

Les épisodes de sécheresse de 2018 à 2020 liés au réchauffement climatique affaiblissent les arbres, les rendant plus sensibles aux attaques d’agents pathogènes (champignons, insectes).

Que disent les forestiers ? Ils insistent sur la responsabilité du réchauffement climatique, ils pointent le fait que les herbivores contrarient la régénération naturelle de la forêt mais pas un mot sur l’exploitation du bois, comme si la sylviculture était neutre dans cette histoire. Car si la forêt a encaissé des pertes importantes (10 504 hectares d’épicéas tués par les scolytes récoltés en 2018-2019 dans le Grand Est, au point d’entraîner un effondrement des cours du bois) ce n’est ni la faute du réchauffement climatique que nous avons déclenché, ni celle des scolytes qui font partie de l’écosystème forestier mais bien celles des sylviculteurs qui ont planté l’épicéa sur des sols inadaptés et en peuplements purs, fragiles et non résilients.

L’exploitation des arbres dépérissant et ceux encore verts se fait par des coupes rases sur de grandes surfaces pouvant aller jusqu’à 150 ha dans les Ardennes, ce qui appauvrit les sols.

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Pourtant, il y a une alternative à ces coupes massives dans un marché du bois saturé. Il faut éviter la coupe rase en laissant les autres espèces présentes (s’il en existe) et des bouquets d’épicéas dépérissant car la forêt a besoin de bois mort pour la fertilité du sol et pour sa diversité biologique, et de l’ombre que peuvent encore fournir les arbres secs.

De plus, l’exploitation de tous les épicéas encore verts empêchent les arbres de développer une quelconque résistance. En forêt publique en-dessous d’un hectare, les coupes rases ne devraient pas être reboisées mais laissées à la dynamique naturelle avec du bois mort abandonné au sol et sur pied. Ces zones sont des refuges pour la faune. Si le reboisement artificiel est inévitable, mieux vaut privilégier les essences locales en laissant venir également la régénération naturelle.

Depuis le Grenelle de l’environnement en 2007 et son slogan schizophrénique pour la forêt « produire plus de bois tout en protégeant mieux la biodiversité », les forestiers pratiquent de fortes éclaircies dans des peuplements pour augmenter les récoltes.

Cette sylviculture, qualifiée habilement de « dynamique », conduit à un raccourcissement des cycles et un rajeunissement des forêts. Ces fortes éclaircies menacent les espèces ayant besoin d’ombre comme le hêtre qui ne supporte pas une mise en lumière trop forte. L’idéal pour cette espèce est d’avoir la tête au soleil et les pieds à l’ombre, or ces éclaircies menacent l’ambiance forestière humide, surtout face à des fortes sécheresses. On voudrait éliminer le hêtre qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

Les fortes éclaircies peuvent conduire à une baisse de la fertilité des sols en réduisant l’abondance des organismes détritivores, ce qui entraîne une réduction de la décomposition de la litière et du recyclage des nutriments.

Enfin, en supprimant les vieux arbres, on prive la forêt de leur fonction connue de dissipateur de chaleur, liée à leur forte activité de photosynthèse et d’évapotranspiration. Il vaut donc mieux laisser vieillir les forêts face au réchauffement climatique.

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Travaillons avec la nature, pas contre elle !

L’ASPAS, à sa modeste échelle, acquiert à travers son programme de Réserves de Vie Sauvage® des parcelles de forêts pour leur assurer une protection maximale, en libre évolution, échappant à toute exploitation. Ce faisant, nous voulons inciter nos gouvernants à en faire de même avec la forêt publique, notre bien commun à tous. Il ne s’agit évidemment pas de réensauvager la France entière (le bois est une matière première indispensable pour les activités humaines), il s’agit d’adopter une politique qui agisse avec la nature, et non pas contre elle : arrêtons les exploitations destructrices (coupes à blanc), préférons des techniques de sylviculture plus respectueuses des écosystèmes, et surtout : augmentons drastiquement le pourcentage de surfaces strictement protégées, pour redonner toute sa place au vivant !

© Photo d’en-tête : Jean-Claude Génot